ce soir, peut-être m'aideras-tu à combler ce vide ?

Non ce n’était pas possible. On ne pouvait pas lui annoncer ça ainsi, on ne pouvait  pas le lui annoncer maintenant. Ca ne pouvait pas lui arriver, elle pensait même  que ça n’arriverait jamais. Le temps semblait s’être arrêté pour elle, elle n’entendait ni la voix de son tendre ami ni le brouhaha incessant de la salle. Elle regardait toujours celle qui venait de l’assommer de sa  triste nouvelle. Tout ce qu’elle sentait à présent, c’était les regards plein de pitié, plein d’empathie que lui jetait les cinq femmes. Une lui tenait amicalement la main, la caressant légèrement. Nergüi aurait voulu l’enlever, elle aurait voulu tout casser et hurler à la mort, elle aurait voulu cracher sa haine à la terre entière.
Mais ça serait se montrer vulnérable, ca serait manquer de pudeur. Elle n’en fit rien. Elle garda cette main dans la sienne, elle resta silencieuse. La belle sentit les fins doigts de la dame glisser, tandis que son compagnon de ce soir l’attira contre elle pour tenter d’apaiser quelque peu ses maux. Tout doucement, elle clôt ses paupières et se défait de cette courte étreinte. D’une voix basse, presque inaudible, mais d’une voix claire pourtant, elle lui dit :

« - Je voudrais juste… que tu m’emmène loin de ces regards. Je ne me retournerai pas, pour les affronter ce soir… »

Sur ces mots, c’est en ta compagnie qu’elle prit congé. Se blottissant dans ce long manteau de fourrure, pas un mot ne fut échangé dans la voiture noire. Elle priait juste, pour se réveiller ensuite… Oui elle ne souhaitait qu’une chose ; s’être assoupit, être en plein cauchemar. Même si elle savait pertinemment que ce n’était qu’un triste mensonge qu’elle se faisait à elle-même…

***

Une fois arrivés à la demeure, il était tard. Il n’y avait personne ; ni police, ni amis, pas même domestiques. Tous avaient déguerpis. Et c’était tant mieux. Nergüi n’avait pas la force de s’armer contre les condoléances, elle privilégiait le silence en ces circonstances. Dieu que c’était vide, sans l’être aimé…  Avant de s’en aller ce soir, il avait remplit la maison de toute sa prestance, de tout son être. Même quand il était absent elle le sentait près de  lui. Mais non maintenant c’était différent : tout était bien vide. Aussi vide qu’elle, peut-être.

Son manteau hotté, ses cheveux lâchés, elle avait presque oublié ta présence. Mais elle se retourna finalement vers toi dans la grande chambre, un doux sourire sur les lèvres. Elle devait être, la plus jolie de toute les veuves. Pourtant, ses yeux dégageaient une tristesse des plus profondes.

« - Je suis désolée, je penses que tu avais imaginé ta soirée d’une toute autre façon… »

Ses lèvres pourpres se pincèrent, abaissant son regard un instant. Dans un murmure, elle ajouta :
« - La vérité c’est que je ne sais pas quoi dire, je ne suis même plus sûre de savoir quoi penser…  Je suis ailleurs, juste pour fuir la réalité. Et je me sens faible, d’agir ainsi… »

« Je sais. Tu es ailleurs. Ou plutôt, tu veux être ailleurs. Ne pas voir tes domestiques, ne pas voir tes amies, ne pas me voir, ne pas le voir lui en photos. Ne pas voir les autres pour ne pas perdre la face, et ne pas le voir lui qu’il est mort. »

« Nergüi…cela fait quelques années que nous sommes de chers amis l’un  pour l’autre. Tu peux pleurer comme tu le sens… »

« - Je crois que je ne pourrai jamais plus en parler…  je voudrais que cela cesse…» dit-elle en tournant la tête comme pour fuir quelque chose. Mais à présent elle savait qu’il était perdu à tout jamais, qu’il avait définitivement disparu.  Il fallait bien qu’elle se force à l’admettre. Mais c’était aussi douloureux que des coups.

Elle se dirigea ensuite vers la salle de bain silencieusement pour se changer. Un silence s’installe. La jeune femme ne trouvera sûrement jamais les mots. Peut-être se taira-t-elle à jamais sur le sujet.  Ce n’est pas parce que l’on est « mort » que plus rien n’a d’intérêt. Justement. Il y a des choses qui ont beaucoup trop d’importances, des ennuis qui n’ont pas lieu d’être.

Sa robe, sur une chaise. Ses cheveux, peignés. Une nuisette recouverte d’un kimono en soie cachait son corps. Trop de questions à se poser, trop de réponses à trouver. Son âme n’était plus qu’une ruine, un amas de savoir et d’ignorance réunis au même endroit.  Son incapacité à penser devenait un handicap à la parole. Si elle ouvrait la bouche elle bégayait la gorge serrée, sans de larmes coincées au fond de sa gorge pourtant.  Son corps s’était asséché.  La vérité est que jamais, malheureusement, elle ne pleurera l’absence de son défunt mari. Elle se contentera de l’attendre peut-être. Ou juste d’espérer le rejoindre tantôt.  Il y a toujours eu quelque chose de passionnel et malsain à la foi dans cet amour. C’était de la torture à l’état pure. Mais les plus violentes des tortures se révèlent être douces aux yeux de celui qui les subit. Le monde est bien trop cruel. Nous ne sommes tous, que de vulgaires diables déguisés par de la chaire, nous ne somme que la représentation de la métaphore. Le but de l’être, qu’il soit humain ou non en l’occurrence – est de semer le trouble autour de lui et autour des autres. Quel maladroit…

Elle s’assit sur le lit en soupirant. Pleurer ? Pourquoi pleurer ? Il reviendra. Du moins elle le reverra non. Laissons donc juste un peu oublier cette douloureuse nouvelle. Laissons feindre comme elle sait si bien le faire. Laissez la se cacher de tous, laissez la se cacher de la vérité…. Le toucher de ta main sur sa peau, la mit en exaltation. Ses paupières sont closes à présent. Nergüi cherche peut-être à ce que tu te rapproches plus. Que tu glisses tes doigts dans ses cheveux, que tu la tiennes fermement contre toi. Pour qu’enfin, elle puisse se laisser aller à sa guise.

« - Mes larmes couleront sûrement quand le moment sera venu, murmura la belle brune en glissant sa main sur la tienne.  Tu sais… cela me rappelle notre relation. Tu étais si parfait dans ta façon de me rendre heureuse que je ne voulais croire qu’à un songe. Je fuyais le réel. Aujourd’hui, je ne m’arrête guère… je décide de ne pas y croire. Je souhaite juste que l’on me laisse espérer, que l’on me laisse respirer, que l’on me laisse en paix… »

L’ainée ouvre ses paupières. Ses yeux se plantent directement dans les tiens. Son air et pure, mais son regard est si sombre. On voudrait toucher entièrement cette peau nacrée, s’emparer de ces lèvres roses comme le bouton d’une fleur.  Mais on voyait cette colère dans ses yeux. Cette haine sans doute refoulée depuis tant d’année. Mais ce sont les personnages les plus intriguant, dont on s’éprend d’affection n’est-ce pas ?

« Nergüi…je suis désolé, mais je ne peux pas faire ce que tu demandes. Je peux te vendre du rêve, mais pas éternellement. Ne m’en veux pas. »

« Je sais combien c’est dur, mais je ne peux pas te laisser bercée d’illusions aussi longtemps. Il faut que tu vois les choses en face, il n’y a que comme ça que tu t’en sortiras. Moi je ne suis que ton soutien. C’est à toi de faire face à la difficulté. Crois-moi, c’est comme ça que je m’en suis sorti depuis que tu es partie.. »

Spoiler:

Elle l’écoutait parler avec grande attention, avec patience. Elle te sentait troublée et même passablement irrité. Ton regard te trahissait bien que tu t’efforçais à garder une once d’amabilité dans la voix. Tu usais trop de la parole. Non pas que tu parlais trop – quel toupet cela serait d’affirmer une choser pareille – mais tu ne semblais pas avoir compris ses dires. Elle ne quémandait rien du tout et Nergüi n’était point assez vicieuse pour se comporter ainsi envers toi. Quelle honte cela serait. Un acte méprisant et tout à fait pitoyable. La belle brune était une femme forte, une femme dont on admire la prestance. La populace se plait à la voir sourire et à la voir marcher avec tant d’assurance sans jamais se demander si il y aurait une femme sur cette carapace de marbre qu’elle s’est construite, au fil des siècles à présent. Et même dans les pires moments. Même quand elle se permet de geindre un petit peu, elle prend le temps de se consacrer à autrui et de s’oublier à nouveau. De sa douce voix, elle vous dira que vous êtes beau et splendide. Dans tout les sens du terme. Que vous êtes tout aussi important que ces gens qui vous entourent. « Tu es façonné par les mains de Dieu, tu as reçu le toucher divin. Tu es divin, relève ce menton et vient à ma table. Nous parlerons. »    

Un peu d’égoïsme n’a jamais fait aucun mal à personne. Mais cela effraie la belle mongole plus que tout au monde. L’unique fois où elle s’est permis une telle chose elle perdit un des êtres les plus chers qu’elle pouvait avoir : toi. Tu étais son miracle. Et maintenant elle ne voulait plus te laisser glisser entre ses doigts, comme ces fins fils de fumée insaisissable.  Maintenant que tu eus finis de parler, un doux sourire vint égayer son visage. Un sourire fin, un sourire qui laissait le doute dans un recoin sombre.  Toute tristesse venait de s’échapper à présent car elle prit conscience.

« - Se Hwan je ne puis te contredire.  Je suis sans doute bien folle de vouloir me borner. Mais … je ne te demande rien. Je n’aurai pas un tel culot, ce malentendu m’étonne fort.  Ainsi je t’ai décris mes fantasmes cependant je n’oserai pas m’imposer à toi. Je ne sais qu’une chose ; je ne veux plus jamais m’éloigner de toi. Repousse moi si tu le souhaites, sermonne moi si tu le veux. Je serai réceptive à tout cela. Mais n’oublie pas cette promesse que je te fais ce soir : qu’importe ce qui arrive et qu’importent tes sentiments. Aussi insignifiants soient-ils, je serai là. Peut-être auras-tu juste besoin de parler, peut-être auras-tu besoin d’autre chose. Mais je serai présente. »

Assise à tes côtés, grande et belle, elle ne détourna pas le regard un instant. On ne pouvait la haïr, on ne pouvait la voir d’un mauvais œil. Il y a méprise et l’étrangère ne voudrait pas que tu penses qu’elle profite de toi car jamais elle ne pourrait agir de la sorte. Mais on sentait tant de sincérité dans ses paroles, on sentait tant de chaleur que l’on ne pouvait se tromper une deuxième fois.  Tes paroles en soi, la réveillèrent assez pour entrevoir la réalité.  Une vague de tristesse la submergea, mais sans plus. Oui c'était vrai qu'il fallait qu'elle fasse face à tout cela. le masque doit tomber un jour ou l'autre. La première fois sera dure. Mais elle se battrait contre tout et tous, comme elle sait si bien le faire.

« - Je souhaites être à tes côtés à nouveau, son ton devint plus sérieux mais non autoritaire.  Mais je ne souhaite rien de ta part en retour. Je laisse juste mes désirs parler vois-tu. Quel vice cela serait de profiter ainsi des choses, j’en suis tout à fait incapable, ajouta Nergüi en fronçant légèrement les sourcils. Mon aide, tu peux l’utiliser comme bon te semble. Je ne me mets pas à ton service comme une vulgaire courtisane. Je veux t’offrir plus que ça tu le comprends bien. Comme il le fut avant. Mais cela reste à ta guise. »


Oui comme il le fut avant… tout comme elle te regardait l’air de dire : ouvre moi ton cœur, que je le vide de sa peine. Le mien est ouvert aussi. J’y glisserai quelques uns de tes maux, pour que tu puisses reposer en paix l’espace d’un instant.

Une indescriptible créature, un ange parmi les démons.

« Oui, ce serait avec joie que j’accepte ton offre. Cette complicité avec une femme me manque énormément. »

« Parle-moi de ton mari. Comment était-il ? Comment vous êtes-vous rencontrés ? »

La complicité est quelque chose qui se contruit avec le temps, que l’on acquérit au fur et à mesure. La complicité ne nait pas dans une flamme, comme l’on pourrait s’obstiner à y croire. Il y a de la complicité dans l’amour et l’amitié car nous entretenons ce rapport, chacun se met sur un même pied d’estal. Chacun met les jugements au placard, chacun se contente d’être là pour cette personne qu’ils chérissent tant. Il y a toujours un peu d’amour dans la complicité. Car ce n’est pas quelque chose que l’on accorde à autruisi aisément.  L’amour est ce qui ouvre les portes du respect et de la confiance. Il est un élement crucial à la complicité. Dans la complicité, on partage des choses secrètes, des choses que l’on garde au chaud pour la bonne personne. Nergüi pense alors que l’amour sous tous ses aspects – même moindre – est un constituant de la complicité. On aime amicalement,d’un amour passioné ou même d’un amour profond. Mais l’on aime assez pour être capable de s’ouvrir à la personne qui reçoit tout cela. En ce sens, l’amour est indispensable puisqu’il engendre la complicité. Et la complicité est un phénomène bien important dans la vie d’un Homme. La complicité, c’est aussi dégager tout ce poid trop lourd pour nous, c’est ce qui nous permet de retirer la balle en plomb qui s’est niché dans notre cœur. La complicité nous permet de ne pas garder pour soi, ces choses terribles qui nous pourrissent de l’intérieur.  La complicité, c’est aussi le partage du merveilleux, que l’on souhaite partager avec le privilégié. La complicité, c’est ce lien si fort qui nous rend incroyablement vivant quand on l’alimente bien.

La douce ne savait pas de quelle façon elle t’aimait. Pourtant elle connaissait les limites de ce sentiment. Tout ce qu’elle savait c’est qu’elle avait besoin de toi à ses côtés. Cela semblait évident pour elle.  Ses peines, ses joies intenses, ses euphories, ses grands chagrins… voilà tout ce que vous partagiez ensemble jadis. Avec des suppléments, si l’on peut dire ça ainsi. Mais aujourd’hui, elle voulait encore de cela. Avait-elle vraiment cessé d’y penser ? Peut-être pas. On n’oublie pas ceux que l’on aime : il remplisse une partie de notre être, pour nous rendre plus puissant.  Et vous d’eux, étiez deux âmes qui se manquaient mutuellement, en permanence. Tu étais différent de son mari sur bien des points, bien entendu. Il n’y avait pas de points de comparaison cela va de soi. Tu étais un être à part entière, qui avait une place importante dans la vie de la jolie mongole.  Et tu sais pertinemment, que ses portes te seront toujours ouvertes…

Cela lui fit du bien, de savoir que tu allais pouvoir l’accompagner un peu sur le long chemin qu’est l’existence. A tes mots, un tendre sourire. Un simple sourire pourtant bien ravageur. Un sourire qui dévaste les Hommes et les rend moins dur. Ses lèvres se rapprochèrent de ton front pour y déposer un doux baiser. Puis elle se recula pour se diriger vers son paravent, derrière lequel elle se dissimula pour porter des vêtements plus confortables.  Elle retira sa robe de soirée, et recouvrit sa peau blanche d’un kimono de soie blanc avant de l’attacher. Enfin, tes dernières paroles raisonnèrent dans sa tête… Cela frappai son cœur, d’un coup sec, comme si tu l’avais heurté de ton poing. Parler de lui ? Par où commencer, il y a tant de choses à dire et pas assez à la fois. Arrivera-t-elle à trouver les mots … ?  La brune décida pourtant de se confesser un peu, d’aléger sa peine. Elle voulait profiter à nouveau de cette complicité, qu’il y avait entre toi et elle.

Nergüi ré apparut alors lentement, marchant jusqu’à un meuble où elle prit un petite cadre avant de revenir à tes côtés. Elle s’assied sur le lit, une jambe dépassant de la fente de son kimono. Tout doucement, elle te tendit la photo.

« - Nous nous sommes rencontrés en Chine, lorsque je suis revenue sur la tombe de mon père… J’étais plus jeune que lui et … notre rencontre fut des plus brèves. Pourtant je savais, qu’il était un homme merveilleux, et que je devais le garder auprès de moi… »

Son ton était lent, sa voix était basse. Point de mélancolie, mais une petite lueur qui naquit dans ses beaux yeux sombres.  

« Tu sentais déjà qu’il n’était pas comme tous les autres. Qu’il était unique en son genre. Mais ta conscience humaine ne pouvait te dire exactement en quoi. C’était comme ça, n’est-ce-pas ? »