All I want is to rest in peace... † Kyang Ja

Le ciel semblait continuer à l’infini, la couleur sombre venant embrasser le reflet que lui offrait l’eau si claire lorsque le soleil règne en maître sur les cieux. Les étoiles brillaient timidement dans le ciel, la lune elle-même semblait se cacher de ce spectacle rougeâtre. Les pieds pataugeant dans l’image fluide du ciel, il releva doucement la tête et souffla avec lassitude un long nuage pâle à l’odeur qui en incommode plusieurs. Sang Min s’était habitué à la forte odeur de ce poison lent, mais il comprenait que tout le monde n’apprécie pas l’odeur de la mort rampante qui gruge les poumons de ses victimes. Caché par sa belle robe blanche bien moulante, le produit nocif semblait se rire des gens, usant de la couleur de la pureté pour séduire la plus pure des âmes et l’amener à la brûler dans quelques instants de plaisirs. Le bout incandescent rougeoyait avec exubérance dans la pénombre lorsqu’il s’enflammait au contact des lèvres du jeune homme. Ce dernier semblait ne faire qu’un avec le paysage environnant, il ne bougeait presque pas, bouger lui faisait mal en fait. Il avait eu une discussion fort animée avec le vampire de sa mère et l’issu de cet échange n’avait pas plu au jeune qui se fit traiter de «capricieux être dérangé, qui, de toutes manières, n’avait pas de raison d’être sinon de servir à la personne qui aurait assez pitié de lui pour vouloir de sa personne». Cette personne avait malheureusement fait son entrée dans la vie de Sang Min. Cette personne était amie avec son beau-père, l’artiste ne l’avait jamais vue, entendue ou autre, mais il s’attendait déjà au pire. Il avait rendez-vous avec elle dans quelques jours, mais aucunement envie de s’y rendre et encore moins d’être encore de ce monde à la date prévue. S’il n’avait plus au moins, ne serait-ce que l’illusion de la liberté, qu’avait-il? Plus rien.

Il n’avait pas eu la force de rester chez lui, il craignait que sa mère ne débarque pour l’empêcher de commettre l’irréparable. Elle était probablement la seule au courant, avec son vampire, évidemment! La nouvelle était toute fraîche, la décision venait d’être prise, quelques heures auparavant, sans qu’on ne demande l’avis de celui que l’on offrait comme un simple morceau de viande. C’était avec rage et désespoir qu’il avait tailladé ses bras, comme il n’est que l’équivalent d’un steak, autant se traiter comme tel! La lame encore rougit par ce si précieux liquide de la couleur de la passion reposait au fond de la rivière. Va savoir pourquoi, il avait fini par la lancer au loin en criant la foule d’émotions qui venait lui faire tourner la tête, lorsqu’il avait vu Kyang Ja arriver. Il savait que ce dernier serait probablement fâché ou déçu de le trouver dans cet état, mais peu importait. Il était arrivé en avance… ça lui apprendra à ne pas être là à l’heure convenue. S’il ne s’était présenté qu’à l’heure à laquelle Sang Min le lui avait demandé, dans son texto, il l’aurait retrouvé serein et en paix… dans la mort. Il y avait eu cette idée folle qui lui avait traversé l’esprit quelques secondes avant de s’exécuter d’elle-même : cette si peu surprenante pensée de se jeter à l’eau dans l’espoir de ne se faire enlacer par Neptune jusqu’à faire partie des siens. Il n’avait fait que se glisser dans l’eau, cette dernière l’accueillant à bras ouvert et venant rapidement l’étouffer, jusqu’à ce que Kyang Ja ne vienne l’arracher à ces bras fluides et ne le ramène sur la terre ferme. Pourtant, aucun mot n’avait été prononcé. Le japonais avait simplement entendu des pas derrière lui, il avait tourné la tête pour reconnaître la silhouette du vampire, au loin. L’artiste avait alors été submergé de mille émotions qui le travaillaient déjà, avait lancé au loin la lame dont il s’était servi pour exprimer sa douleur et son désarroi sur son propre corps et avait ensuite pensé aller le rejoindre. Pas un mot. Simplement des gestes et un cri.

L’eau doucement salée de la rivière avait pris un malin plaisir à venir piquer ses plaies ouvertes, rendant l’expérience encore plus désagréable, si possible. Il n’y voyait rien dans ces eaux qui avaient emprunté les teintes de la nuit, il y faisait noir, c’était étouffant, envahissant et froid. Sang Min avait, dans un accès de désespoir, espéré pouvoir mourir avant que Kyang Ja ne comprenne, mais son espoir était bien mince. Il sait que le vampire n’est pas si stupide et se doute bien que le coréen n’a pas simplement voulu se baigner. Pas après la scène qu’il avait faite. Son message texte avait peut-être été court, précis et vide de détails, mais sa manière intense et théâtrale de l’accueillir avait parlé pour lui. Non, bien que l’on pourrait penser le contraire, le suicidaire ne cherche pas spécialement à attirer l’attention sur lui, c’est même le contraire. Il publie certaines de ses œuvres, non pas pour l’argent ou la célébrité, il les signe d’ailleurs sous un faux nom pour garder l’anonymat. Il le fait pour que l’art soit vu, mais il ne veut pas être lui-même remarqué. Il pourrait être difficile d’établir les raisons qui l’avait poussé à demander à Kyang Ja de venir le retrouver… c’est lui qui aurait retrouvé son corps inanimé en premier, s’il n’était pas arrivé en avance. Sang Min lui-même n’était pas certain de vouloir s’admettre ces raisons, mais bon, elles n’avaient guère d’importance alors qu’il s’enfonçait de plus en plus profondément dans les eaux de la rivière. Il finit par fermer les yeux, perdant de plus en plus notions de toutes choses… Il manquait d’air, ses poumons se remplissaient d’eau et c’était horriblement douloureux, mais bientôt, il ne sentirait plus rien, tout comme il n’arrivait plus à penser ou bouger vraiment.

Lorsqu’il ouvrit de nouveau les yeux, sa première réaction fut de prendre une immense inspiration. Ses poumons s’emplissant d’air et non d’eau comme quelques minutes auparavant. Il se releva brusquement en prenant cette même inspiration et poussa un cri de douleur. Son geste avait été trop vif pour son corps tailladé comme le serait un pauvre animal sans vie donné aux soins d’un psychopathe en puissance. Il ne comprenait pas. Ses yeux habituellement vides et froids trahissaient son incompréhension totale, sa peur dévorante et son désespoir si poignant. Non, il n’était pas content d’être en vie. Il voulait être libre et pour l’être, il semblait devoir être mort et non vivant. Il n’était plus dans l’eau, d’ailleurs, une faible brise venait mordiller sa peau avec grande joie, le faisant légèrement frissonner, ses vêtements mouillés collés à sa peau n’aidant en rien à l’en protéger. Il tourna doucement la tête et vit Kyang Ja. Voilà pourquoi il ne pouvait pas mourir en paix… Il baissa rapidement le regard et le détourna, se remémorant tranquillement ses agaces derniers moments.

-« Pourquoi…? » Articula-t-il difficilement, les syllabes s’étranglant dans sa gorge si serrée.

La réponse ne lui plairait probablement pas. Aucune réponse ne pourrait lui faire plaisir. De grosses larmes vinrent noyer son visage, se fondant dans les gouttes d’eau qui roulaient déjà sur ses joues, tombant de ses cheveux. Il se sentait trahi, aussi étrange que cela puisse paraître.

-« Je t’avais dit de venir plus tard… trop tard…! » Admit-il toujours avec autant de difficultés, son regard fixant obstinément le sol devant lui.

Il serra la mâchoire, retenant prisonnières d’autres paroles et ramena ses jambes vers lui. C’était douloureux, mais qu’importe. Les cuisses collées contre sa poitrine, il encercla ses jambes de ses bras et posa son front contre ses genoux. Sang Min ne souhaitait pas être vu dans cet état, il n’aimait pas qu’on le voit aussi désemparé et vulnérable. Ça l’arrangeait bien que l’on croit qu’il ne ressent rien, qu’il est vide, que rien ne peut l’atteindre… Sauf qu’en ce moment, il avait l’air de tout sauf de sa traditionnelle image de l’homme qui est là sans y être. Son côté humain ressortait beaucoup trop, ses faiblesses parlaient d’elles-mêmes. Il préférait encore endurer la douleur physique que lui faisait endurer cette position que de se montrer en personne. Se dévoiler dans ses œuvres était une chose dont il avait l’habitude, mais rares sont ceux qui comprenaient vraiment toute la complexité du lien qui lie l’artiste à l’œuvre. Tandis que là, il n’y avait rien entre lui et l’œil curieux. Il n’y avait que lui, son affliction, sa désolation et ses tourments avec Kyang Ja. Il n’y avait pas cette habituelle muraille de froideur dont Sang Min s’entoure avec tout le monde… il n’y avait que lui. Lui qui pleurait, recroquevillé sur lui-même, apeuré par cet avenir dont il n’avait jamais voulu, mais qui lui avait toujours été destiné. Il se disait qu’il devait avoir l’air bien faible, bien stupide aussi… et il n’osait même pas penser à tous ceux qui se réjouiraient trop d’être à la place de Kyang Ja pour profiter de ce spectacle si rare. C’est en partie pour cela qu’il n’avait pas le courage de regarder le vampire, il ne voulait par le voir si ce dernier se délectait de son malheur… Une part de lui ne pensait pas vraiment qu’il ne le fasse, mais en ce moment, son estime des vampires étaient si mauvais qu’une autre part le lui murmurait d’un ton aigre à l’oreille.