Let's talk about us

C’était… étrange. Toute mon enfance, j’avais rêvé d’aller dans un parc d’attraction, accompagné d’une famille. La première fois que j’avais mis les pieds dans cet endroit plein de joie de vivre, j’étais humain. J’étais plus jeune aussi. Mais souvenir sur cet endroit semblait… altérer. Comme si la drogue, la folie et le vampirisme avait petit à petit effacé ce moment de ma mémoire. Il ne me restait plus que quelques petites choses. Des odeurs. Beaucoup d’odeurs. Celle d’une mascotte qui transpire dans son costume, celle du vomi à la sortie d’une attraction, celle de l’excitation… Humain, toutes ses odeurs semblaient si lointaines, pourtant, maintenant je les sentais mieux que jamais. Tellement qu’elles en devenaient agressives. Mais elles étaient aussi reposantes. Grâce à ces milles odeurs, celle du sang palpitant de l’humain me semblait moins forte, moins attirantes. J’étais assez rassasié pour résister à la bride d’odeur si attirante qui parvenait jusqu’à moi. Alors, j’en profitais. Ni humain, ni monstre, je voulais aujourd’hui n’être rien de plus qu’un client heureux, comme les autres. Profiter de ces rares souvenirs, de ces rares rêves qui étaient encore là. Oublier ma folie aussi. Les attractions ennuieraient peut-être assez la petite voix qui partageait mon esprit pour qu’elle me laisse tranquille pour une fois.

Une vitre me reflétait, entouré de cette foule pleine de joie, à l’abri des problèmes. Je semblais étranger à tout ceci. La distraction des manèges ne me laissait pas de marbre, mais elle ne m’éloignait pas assez de mon sentiment de solitude. L’abandon de mes parents avait creusé en moi les débuts d’une folie et mon premier amour m’avait laissé seul, laissant dans mon cœur une blessure qui ne fut jamais réparé. Ma solitude n’était alors rompue que par cette voix que j’entendais, sans jamais savoir pourquoi elle était là. Alors, seul le Bloody Steam me permettait d’y échapper. Je n’étais pas capable de me lier d’amitié avec une personne sans qu’un jour, celle-ci ne disparaisse de ma vie. « Vivre l’éternité seul… suis-je si maudit ? » La rancœur m’envahit. Qu’avais-je fait dans ma vie pour mériter la solitude éternelle ? Arrête de te plaindre, tu n’es pas seul, je suis là moi ! Et la voilà de retour… cette voix sans nom. Parfois, elle me semblait si présente que j’avais l’impression d’avoir une seconde personne dans ma tête, de partager un corps avec quelqu’un d’autre.

A travers la foule, une odeur que je n’avais pas senti depuis longtemps parvint à mes narines… corrections, je ne l’avais jamais senti, du moins pas avec l’odorat d’un vampire. Je l’avais senti en tant qu’humain, il y a longtemps… Le hasard faisait que cette odeur était de retour, dans le lieu qui avait marqué pour moi la première fois que je la sentais. Mes yeux ne le virent pas tout de suite… puis enfin, je l’aperçu. Pourquoi maintenant ? Pourquoi après tant de temps ? Un mot peut sympathique se dessina sur ma bouche. Un mot qui exprimait toute la rancune d’avoir été abandonné une fois de plus. Salaud. Je ne l’avais pas dit à voix haute, mais peut-être qu’il l’avait lu sur mes lèvres. S’il m’avait ne serait-ce qu’aperçu. Je voulais lui cracher à la gueule toute ma rancune. Lui aussi m’avait abandonné. Un jour, sans un mot, il avait disparu. Mais quelque chose clochait. Son odeur d’abord. Elle n’avait pas l’odeur si attirante du sang humain. Et son physique. Il n’avait pas changé… et il était toujours plus grand que moi. « Toi aussi… » Un vampire. Lui aussi était immortel, lui aussi était attiré par le sang d’un humain… Tout semblait alors s’expliquer. « C’est donc pour ça que tu as disparu… »

Devais-je être en colère contre Ares pour avoir fait avec moi comme toutes les autres personnes avant lui, ou au contraire être heureux de retrouver un ami d’antan ? Mais étions-nous toujours pareil ? Tous deux vampires, avons-nous encore des choses à nous dire, maintenant que la vie nous a quitté ? Voir un visage familier après tant de temps… c’était déroutant. Voilà cinq années que je n’avais pas vu Ares. Si Dieu il y avait, il avait un sens de l’humour très particulier… se retrouver après plusieurs années au même lieu qui avait marqué notre rencontre, il y avait de quoi se poser des questions. Et pourquoi suis-je venu là déjà ? Ah oui… j’aime me plaindre sur mon sort.

Bizarrement, l’odeur alléchante des humains avait moins d’impacts sur moi maintenant. Comme si mon cerveau était déjà bien assez saturée avec ces retrouvailles pour le moins particulières pour en plus se concentrer sur tant d’humains. Je franchis les quelques pas nous séparant encore, ignorant avec une force nouvelle l’envie de sauter sur le premier humain venu. « Comment tu es devenu un… » Allez savoir pourquoi, je fus incapable de dire le mot clef de toute cette histoire. Vampire… nous étions devenus des monstres, tous deux. Je ne parvenais même pas à savoir si j’aurais préféré mourir dans cet accident plutôt que de devenir un suceur de sang.

Nous devions avoir l’air ridicule, tous deux droit comme des piquets, au milieu d’une masse de gent venu se distraire, oublier les problèmes au milieu des manèges et des stands de malbouffe. « Si il y a bien un endroit où je ne pensais pas te retrouver, c’est bien ici. » Ma piètre tentative pour alléger l’atmosphère sonnait d’une manière assez étrange. Nous nous étions rencontré ici, et nous nous retrouvions ici. Maintenant tu n’as plus aucune raison de te plaindre espèce de chiffe molle ! Ignorant la voix devenu familière avec le temps, je guettais un signe de vie de la part de mon ami d’antan retrouvé. Enfin… un signe de vie. Si on pouvait toujours employer ce terme, alors que lui et moi n’avions de l’être vivant qu’un corps en bon état. J’avais des questions à lui poser. Beaucoup de questions. Comment faisait-il pour échapper à l’attraction permanente du sang humain ? On parlait aussi de vampire plus âgé, plus expérimentés qui aidaient les plus jeunes à se faire à leur nouvelle vie. Avait-il eu droit à cette aide ? A moins que lui aussi se retrouve largué dans un monde inconnu sans le soutien d’une personne plus… expérimenté dans le domaine vampirique.

Je ne savais plus trop quoi dire pour combler le silence. Je n’avais jamais été doué pour les discours, mais là ça en devenait presque handicapant. En même temps, qui serait quoi dire quand une telle situation ? Retrouver une personne perdue de vue depuis plusieurs années, et la retrouvée en vampire… Que la personne qui ne soit pas hésitant dans une telle situation me jette la première pierre !

Passant machinalement ma main dans les cheveux, je me sentais nerveux. Non pas que la situation soit si catastrophique, mais plutôt à cause de l’odeur des humains. Me nourrir de sang humain avait au moins le mérite de remplacer assez bien le Bloody Steam, mais ça ne suffisait pas. Ma folie était de plus en plus présente maintenant que je ne la muselais plus avec la drogue. J’entendais de plus en plus la petite voix dans ma tête, et quand j’avais soif de sang, il me devenait impossible de l’ignorer. Quand elle m’ordonnait de sauter sur un humain… l’attraction de son sang et la voix alliée faisait de moi l’esclave de ses désirs. Entouré de tant d’humains, j’avais peur de sombrer à nouveau de cette attraction si forte, si alléchante…

Il me fallut un certain temps avant que l’information monte au cerveau. Etait-ce possible ? Lui aussi avait goutté aux attraits de la drogue. Bien sûr, ils étaient loin d’être les seuls, mais se rendre compte qu’une connaissance perdue de vue depuis longtemps avait connu exactement la même chose que soit… ça faisait un sacré choc. Un bref sourire passa sur mes lèvres en entendant son conseil. Faire face à la réalité… Plus facile à dire qu’à faire quand on a envie de sauter sur le premier humain venu, mais Ares avait l’air d’y parvenir. Pourrais-je aussi m’y faire ? Lui a réussis, mais moi, y parviendrais-je ?

Ignorant mon combat intérieure, Ares me guide vers un banc juste à côté, me retournant alors la question que je lui avais posé quelques secondes auparavant. « Ça ne fait pas très longtemps… Un mois tout au plus. Et, tu vas rire… » Dommage que le sujet ne prêtait pas à rire… « J’ai été transformé de la même manière que toi. » Tout en parlant, j’essayais de ne pas m’intéresser à l’odeur étonnements agréables des humains tout autour de moi. J’étais loin d’être affamé, je me sentais donc capable de retenir la pulsion vampirique qui me tiraillait, mais ça n’en était pas moins difficile. Quel idée d’être venu si t’es pas foutu de résister. Pour une fois que j’étais d’accord avec la voix... Discuter avec Ares était un bon moyen de ne pas sentir l’attraction des palpitations humaines. Je me concentrais alors entièrement sur ces retrouvailles un peu hasardeuses. « Tu es un vampire depuis plus longtemps que moi… c’est toujours aussi difficile de… vivre avec les humains ? » Est-ce que le temps aide à résister ? L’idée de rester enfermer toute la journée pour éviter de tuer tous les humains que je croise ne m’a jamais plus. Ces derniers temps, je suis toujours resté cloitré chez moi, de peur de commettre ce que je regretterais toujours… aujourd’hui j’en avais eu mare. Alors l’idée de vivre comme ça pour le restant de mon existence ne me plait pas vraiment…

En attendant la réponse d’Ares, j’observe un peu ce qu’il y a autour de moi. Ce rêve d’enfant, celui de venir ici avec une famille aimante, me semblait si loin. Autrefois, j’aurais envié les enfants riants aux éclats, suppliant leurs parents de rester un peu plus longtemps. A présent, je me sentais comme étranger dans ce monde… comme si je n’avais jamais fait partit du même monde qu’eux. Et au final, j’étais responsable de tout ça. Pourtant, si j’avais à recommencer, je ne sais même pas si je réparerais mon erreur. Après tout, j’étais déjà né fou… il ne reste plus qu’un pas à faire pour arriver à ce que j’étais à présent, un vampire.