Sadness, Pain, Regret [Namie]

Les yeux perdus dans le vide, ses doigts fins tapotent son verre distraitement, créant une mélodie de sons qui brisent les discussions vives autour d'elle. C'était hypnotisant pour un vampire aussi ancien qu'elle que de voir ces humains s'enhardir dans leurs discussions et faire de grands gestes pour souligner leurs propos, comme si ça allait aider d'une façon ou d'une autre à appuyer leur point et forcer leur interlocuteur à rejoindre leur cause. L'alcool qui coulait dans les veines n'allait certainement pas les aider à paraître crédible, pas quand ils avaient les joues rouges et un chat dans la gorge après un verre de trop. Ceci étant dit, elle était victime du même sort puisque son organisme vampirique n'acceptait pas la liqueur amère qu'elle absorbait jour après jour comme une sorte de drogue. Elle qui ne comprenait pas comment les mortels pouvaient être mordus d'une telle boisson, maintenant, elle ne pouvait que compatir. Elle porte le verre à sa bouche pour prendre quelques goulées du breuvage marron clair, une légère grimace dissimulée au coin de ses lèvres rouges sang. Il lui arrivait de vomir lorsqu'elle retournait chez elle, penchée au-dessus de l'évier de la salle de bains en essayant de retenir ses cheveux en arrière et de ne pas se tâcher avec sa propre salive. Elle savait mieux que quiconque qu'elle s'intoxiquait plus qu'autre chose à force de rejeter les maigres rations de sang qu'elle prenait chaque jour, mais elle était bien trop habituée à noyer ses regrets dans ses verres pour les ignorer.

Sa table est vide, et son verre le sera aussi rapidement. Bien sûr, personne n'ose s'asseoir près d'elle, parce qu'ils sont soit trop ivres pour pouvoir marcher sans trébucher et s'étaler tête la première par terre, ou parce qu'ils sentent qu'elle ne fait pas partie des leurs. Cette distinction entre humains et vampires ne l'avait jamais affectée, parce qu'elle avait toujours été différente d'eux, après tout, elle était née dans un clan uniquement composé de vampires. Elle n'avait connu que ça depuis son plus jeune âge, il était impossible pour elle de se mélanger à eux sans se sentir de trop, sans étouffer. C'était peut-être l'odeur singulière que chaque corps humain dégageait qui la mettait si mal-à-l'aise, ou alors peut-être les battements furieux des cœurs autour d'elle et le silence du sien quand elle posait la main sur sa poitrine. Son visage est peint de quelque chose de mélancolique, qu'elle n'arrive pas à décrire même en distinguant son propre reflet dans son verre. Ces soirs étaient toujours ceux ou ses souvenirs revenaient la hanter, et qu'elle se rappelait de ce qu'elle avait perdu et de ce qu'elle ne retrouverait pas. Son deuxième verre arrive, sans même qu'elle ne lève la main pour en réclamer un. Le barman a fait d'elle une habituée après l'avoir vu de trop nombreuses fois dans son bar, et il pourrait réciter ses boissons favorites sans avoir besoin de regarder ses commandes. Puis, les verres s'enchaînent sans même qu'elle ne se rende compte du nombre qu'elle boit, et les gens autour d'elle défilent aussi, passant du groupe de collègues de travail aux jeunes fêtant un enterrement de vie de garçon. Elle devait faire tâche sur le tableau, assisse dans son coin à sa table, les jambes croisées et les yeux vitrés comme si elle voyait quelque chose de différent que ce qui se passait à l'heure actuelle.

Soudain, une voix perce sa bulle de confort et d'espace personnel. Namie cesse les mouvements de ses doigts sur son verre, son regard changeant de cible pour se fixer sur le garçon assis à la table longeant la sienne. Il est seul, et il semble l'être pour le reste de la soirée vu son élan de courage pour lui adresser la parole. Elle ne répond pas tout de suite, laissant son regard examiner les traits du visage du garçon un bref instant avant d'en revenir à son verre. « Je ne dirais pas hantée, maudite serait un mot plus approprié. » Son ton est calme et impassible, mais il y a une tristesse qu'elle est incapable de cacher qui enrobe chacun de ses mots et en accentue la profondeur. Ses yeux en reviennent au garçon, et sa main tapote la chaise à coté de la sienne, lui intimant silencieusement de la rejoindre. Il n'avait pas l'air d'avoir un mauvais fond, et il était bien le seul à lui avoir accordé la parole ce soir. Partager un verre ne lui semblait pas une mauvaise idée. « Qu'en est-il de toi ? Tu me parais bien trop jeune pour être seul dans un tel endroit. » reprend-t-elle, d'une voix qui s'adoucit au fur et à mesure qu'elle parle et boit le contenu de son verre. L'alcool délie les langues, c'est bien connu, et même elle n'échappait pas à cette règle d'or.