Comportement étrange [PV : Park Jun Min]

On appréciait ses œuvres et à plusieurs reprises on a cherché à le contacter pour plusieurs raisons : des prises pour tels interviews, pour tels magazines de mode, pour tels magazines d’art ou encore des expositions locales, nationales ou mondiales. Ses trois cent années de vie lui ont permis de tester tout style, et de mûrir sa vision de la vie, et des choses, et d’avoir un style qui lui était extrêmement propre et unique. Il ne faisait donc pas de la photo pour de « l’argent » ou pour de la « reconnaissance ». Il était déjà bien trop connu en sa qualité de vieux Milicien – et aussi en tant que level 3 dont le sang était dorénavant désiré par plus d’un dealer de la bloody steam -.

Aujourd’hui, un jour comme un autre, on cherchait encore à le contacter. La personne avait du mal – comme tant d’autres avant lui – et avait eu l’idée de laisser des indices pour un rendez-vous – à nouveau, comme ses prédécesseurs. Jun Min avait eu une longue réflexion à ce sujet-ci. Devait-il quitter cette isolation de la société humaine pour s’y replonger que très temporairement ? Etait-ce « utile » et « nécessaire » ? A priori, tout pointait au « non » mais par caprice, il finit par enfiler un manteau noir d’hiver sur une tenue informelle. Il était « presque » banal mais son aura d’ancien, qu’il dégageait inconsciemment, attirerait toujours les regards de mortels comme d’immortels.

Se cacher lui était devenu « impossible ». Il faut dire, l’anonymat commençait cruellement à lui manquer.

*

L’heure du rendez-vous avait approché. C’était en fin d’après-midi. Une heure charnière pour le vieux vampire soit une heure où un humain était détendu – ou pressé de finir de la journée – et une heure où un vampire se réveillait pour « commencer sa journée de travail ». Grâce aux nombres croissants des vampires, les travails de nuit s’étaient multipliés. Entre les bars ou les autorisations de travailler après 18h jusqu’à minuit ou une heure du matin étaient choses communes dernièrement. Pour Jun Min, cette fin d’après-midi n’était que le début d’une longue journée, à n’en point douter. Une fois ce rendez-vous fini avec l’humain, il devait se rendre au QG de la Milice pour participer à une réunion du noyau décisionnel.

« Discret comme lieu » concéda le vieux. Il appréciait ce genre d’endroit, il faut avouer. Il n’était nullement agoraphobe mais tout ce sang bouillonnant, tous ces bruits, toutes ces agitations humaines ou vampiriques … le fatiguaient. Il se faisait vieux, il ne se rendait compte que davantage dans ce genre de situation.

- Bonjour, finit-il par dire à celui qui l’avait contacté, se basant sur le code vestimentaire donnée par le mystérieux commissionnaire.

Une seule odeur suffit à Jun Min pour comprendre une chose : « Calice ». Il se rembrunit bien vite. Il ne désirait nullement « vendre » sa couverture ou ses talents à un « objet ». Effectivement dès qu’un humain abandonné la société humaine pour servir un vampire, il n’était plus un « homme », juste une « chose » déterminée à disparaître une fois l’usage fini. Un Calice survivait rarement longtemps aux traitements des Vampires. Un coup de colère ou une passion trop forte suffisait à une pression « meurtrière » pour les pauvres mortels.

- Je suis Soo Yung, mentit-il sur son identité.

On connaissait Park Jun Min, le grand Milicien, de nom et non son visage. Mentir sur une identité, à un Calice, n’était dès lors pas bien compliqué.

- Je n’apprécie pas les contacts physiques, enchaîna-t-il, sous-entendant par là qu’il n’y aura pas de poignet de main.

Un Calice appartenait à un vampire et dès lors, apposer même partiellement sa « propre » odeur sur la « chose » risquait d’être un affront. Et surtout un indice sur sa nature pour le vampire maître. Chose que le vieil « vampire » ne désirait pas.

- Je doute que nous avons vraiment des points communs, enchaîna bien vite Park Jun Min.

Il se refusait qu’un Calice ose se comparer à lui, et à trouver plus d’un trait commun ! Il était un Milicien, un level 3, et non un vulgaire buffet sur patte pour quelques Vampires affamés ou suffisamment stupides au point de « cultiver » un point faible aussi évident. A l’heure actuelle, il suffisait que ce Calice soit celui d’un Vampire qu’il détestait … Il suffirait de trancher la tranchée de l’humain pour affaiblir à distance le Vampire, et profiter de cette faiblesse pour le « tuer » sans aucune difficulté. Oui, Calice était un métier dangereux.

- Vous ne me verrez qu’aujourd’hui. Pour le reste, si votre proposition me convainc, je vous enverrais le nécessaire.

A priori, Jun Min ne « vendait » pas ses œuvres. Il donnait ou « prêtait » temporairement. L’argent n’était pas vraiment un but pour un géant d’un empire construit sur trois siècles d’investissements, d’échecs et réussites. A l’heure actuelle, chaque seconde lui apportait un joli petit pactole, les déficits comblés par les profits et les excédents qui s’affichaient par-ci et par-là par x activités. Il vivait bien, trop bien même.

- Je suis curieux pour un détail, tout à l’heure, vous parliez d’inaccessibilité ? Dites-moi donc comment.

Un Calice était « tout » sauf « inaccessible ». Il suffisait d’un claquement de doigts de son maître ou de sa maîtresse pour qu’il tende un coup, une cuisse, un bras, ou plus pour assouvir le désir du Vampire, et en retirer à son tour un plaisir fort « minable » pour le Level 3. Oui, à l’heure actuelle, il avait en face de lui non pas un Humain mais un Esclave de sa société. Il aurait quitté la table sans plus chercher , en temps ordinaire, mais le sujet de l’art était définitivement la seule chose qui le retenait encore ici.

Park Jun Min a écrit:

Un Calice n’aimai pas forcément le contact avec un autre que son « Propriétaire », chose absolument naturel et normal. De même pour un Vampire étranger, il aimait rarement mettre la patte sur un Calice et mettre son odeur en signature, à moins de vouloir provoquer volontairement le « Propriétaire ». Plus la « chose » parlait, et plus il réfléchissait. Comment sa « Race » pouvait-elle s’abaisser à se lier si passionnément à un être aussi vulnérable ? Il suffirait  qu’il brise soudainement le cou du garçon pour que le Vampire soit affaiblit suffisamment pour que Jun Min le retrouve, et le tue à son tour.

« Règle numéro 1 du Milicien, ne pas avoir de Calice».

Il se redressa un tantinet, afin que sa voix se porte bien. La suite était importante pour lui.

- Le Temps. C’est mon sujet principal.

Quoi de plus étonnant pour un Vampire, n’est-ce pas ? Ces derniers voyaient les moments filer plus ou moins longtemps, ils étaient témoins – parfois acteurs – des événements et ils étaient plus conscients que d’autre de l’importance de chaque moment. Ils étaient également ceux qui étaient obsédés par certaines choses. Par exemple, Jun Min était un fanatique de la photographie d’un même lieu, mais à des périodes différentes. Une histoire d’un banc pouvait débuter durant les années 1900  et être aujourd’hui un vestige écrasé par un important Building d’hommes d’affaires. A vrai dire, il avait plusieurs livres traçant ce genre d’histoires. Des jours, il passait ses journées à les feuilleter.

- J’apprécie de voir les ravages du temps sur une chose ou sur une personne. Et j’aime le montrer au monde, afin que chacun apprécie le moment présent.

Il mit ses mains sur la table, pour mieux se rapprocher du garçon, afin de mieux se faire entendre. Au fil des paroles, Min Sung pouvait voir que l’arrogance disparaissait au profit d’une passion tout autre : il aimait ce qu’il faisait. ET il y tenait.

- J’espère que la personne qui regarde mes photos est à la fois heureuse de l’évolution de la chose, ou de la personne, mais également triste de n’être que spectateur, sans pouvoir apporter sa pierre, sans avoir été une part de cet instant … de cette époque.

Effectivement, à ces paroles, les yeux de Jun Min exprimaient tour à tour joie, puis tristesse, pour se conclure sur une note bien amère. Il « regrettait » mais « quoi » ? Telle était la question à laquelle il n’avait nulle réponse à l’heure actuelle.