Calice, ta place n'est pas ici.

Dans une telle situation, on est en droit de se poser deux questions. La première : qu’est-ce que je fous ici bordel ? La deuxième : pourquoi dois-je toujours m’attirer des ennuis avec des suceurs de sangs ? Bordel ! En réponse à la première, une réponse simple : je n’étais pas au courant que je me trouvais dans un endroit bourré de longues dents ! La seconde question a aussi sa réponse, tout aussi simple par ailleurs : parce que je suis un idiot de premier rang ! Tout avait commencé avec une simple soirée que j’avais envie de passer seul. Aujourd’hui, Chen ne m’avait pas requiert ma présence à ses côtés et j’en avais profité pour faire ce que j’aurais dû faire il y a bien longtemps : me socialiser un peu sans que Chen soit là pour lancer des regards assassins à la première personne venue. Mes pas m’avaient alors mené ici, l’Inception’s Club. J’avais entendue dire que c’était un endroit très animé, et ça m’avait plus. Mais ce qu’on ne m’avait pas dit, c’est qu’il était en effet très animé… par des vampires. Une horde de vampire même. Au début, je ne m’étais rendu compte de rien. Les étranges regards que portaient les gens sur moi ne m’avaient pas vraiment intrigué. J’avais pris un verre, le moins d’alcool possible, et j’étais resté quelques secondes au bar, cherchant bien au fond de moi le courage de faire autre chose que rester cloué sur place comme un idiot. Evidemment, la seule chose que j’avais pu faire, c’était fourrer mon nez là où je n’avais pas à le fourrer. Une personne, plutôt grande de taille, assez imposante, tenant un verre dans sa main semblait être fortement intéressé par un jeune homme, peut-être un peu plus âgé que moi, alors que cette personne s’évertuait à le repousser. Et allez savoir pourquoi, j’ai eu la bêtise de ramener ma poire de calice. « Excusez-moi… mais je crois que cette personne vous requiert poliment de la laisser seule. » Et un calice pas malin, et un ! Comment puis-je être aussi bête ? Moi qui d’habitude fuis toute chose qui pourrait ressemble de près ou de loin à un vampire, moi qui fuis dès que quelque chose est plus baraqué ou plus grand que moi, j’interviens dans une situation qui ne m’est guère en faveur, avec comme seule arme, un verre à peine alcoolisé et l’odeur de Chen sur moi… « Je… je crois que vous ne m’avez pas bien compris… mais cette personne veut que vous la laissiez tranquille… votre présence ne semble guère… heu… » Je n’ai jamais finis ma phrase. La personne qui dérangeait le jeune homme en face de moi me … reniflait. En plus de ne pas être très élégant, ce n’était pas bon signe. En général les humains ne se mettent pas à renifler les gens. Sans réfléchir, je saisis le poignet du jeune homme qui se faisait emmerder (c’était bien le cas de le dire) et je le tirai loin de cet homme étrange… sois dehors, cachant tant bien que mal ma tête du videur… Puis je restai là… cloué devant le jeune homme sans savoir que dire ni faire… me retenant peut-être de fuir comme je le ferais d’ordinaire.

L’air était frais mais rien de bien insupportable. Ce qui me dérangeait le plus en réalité, c’était la pénombre : seul un lampadaire éclairait la rue et dans un monde parsemé de vampire, la nuit était souvent synonyme pour moi de danger. L’atmosphère qui régnait ce soir me rappelait étrangement cette nuit qui m’avait séparé de mon frère… Savoir que des vampires se trouvaient juste à côté, à l’intérieur même du lieu que l’on venait de quitter ne me mettait guère en confiance. Pourquoi être venu ici déjà ? Parce que je suis un idiot. Un calice qui se plaint constamment de vivre dans un monde de vampire mais qui n’est pas capable de faire un minimum attention aux lieux qu’il fréquente. Plongé dans mes pensées, je n’avais pas vu la personne que j’avais entraînée dehors faire mine de partir. Je le regardais alors s’éloigner, trouvant à mon tour le courage d’affronter la nuit pour rentrer chez moi. Quel fut mon étonnement de le voir se retourner vers moi. D’instinct je fis un pas en arrière à son approche. Un mouvement de crainte qui m’était désormais devenu familier. Le jeune homme en face de moi était légèrement plus grand que moi, de peu mais assez pour me mettre mal à l’aise. L’habitude de côtoyer un vampire plus petit que soit n’était certainement pas étranger à ça. Mais je n’eus pas beaucoup de temps pour penser à ce genre de chose, car ce qui me parvint aux oreilles me surprit tellement que j’en fus incapable de parler pendant quelques secondes. « Je… je crois qu’il y a méprise. » Il semblait croire que j’étais un vampire. Pour la première fois de ma vie, une personne me regardait comme un prédateur et non comme une cible… c’était étrange. Plus bizarre encore, quelqu’un voyait en moi une personne de forte (la force d’un vampire bien entendue…). « Je ne suis pas un vampire… et je veux encore moins quelque chose en échange. » Cette situation m’était toute nouvelle, et plus encore qu’avant, je ne savais que faire. Plongé dans un silence gêné, je commençais à m’intéresser à mes chaussures. Puis, les paroles du jeune homme me revinrent à l’esprit. Il disait ne plus être humain : un calice donc. Moi qui avais toujours été curieux de savoir comment vivait les autres calices vis-à-vis du vampire qu’ils servaient… Pour une fois, une occasion se présentait à moi. Celle de pouvoir entendre les ressentis d’un autre calice. « Je… je m’appelle Chang Wu. Euh… Yi Chang Wu. Je suis un calice moi aussi. » D’ordinaire, mon léger accent ne me gênait pas : mon coréen se révélait être relativement bon, mais ce soir plus qu’un autre, je prenais conscience de cet accent. J’espérais qu’il ne soit pas une barrière… « Je crois que je devrais aussi te remercier… quelque part, si tu n’avais pas été là, je me serais retrouvé seul face à ces vampires… » Et qui sait ce qui se serait passez… Je laissais ma phrase en suspens, un peu gêné par la situation, timide et trouillard, comme toujours. Un jour, sera tu capable d’être sûr de toi Chang Wu ?

Mon interlocuteur se présenta d’une seconde petite courbette. Il n’avait pas l’air d’être quelqu’un de dangereux et il était un calice : comme moi. Quelqu’un qui peut-être partageait ce que je ressentais. Malgré une petite voix qui me criait de partir, de faire ce que je faisais toujours et de fuir, j’avais envie de savoir comment les autres calices vivaient. Le dénommé Tae Ryeong fit une courbette de plus. Cette habitude commençait sérieusement à me mettre mal à l’aise, d’ordinaire, c’était moi qui passait mon temps à m’excuser et à faire profil bas, je n’étais pas habitué à ce que les rôles soient ainsi inversé. Je ne m’attendais d’ailleurs pas à ce qu’il rentre si vite dans le cœur du sujet, à savoir les vampires. Sa question me prit par surprise et je ne sus que répondre. Je pris du temps pour réfléchir à la réponse que je voulais lui offrir. Ma relation avec Chen… je ne savais pas vraiment comment la définir. Au début, je le haïssais. C’était un vampire après tout, et il avait fait de moi son calice sans que j’ai mon mot à dire. Mais cette attirance que j’éprouvais, cette envie de sentir sa peau contre la mienne en permanence… Visiblement, mon silence sonna pour Tae Ryeong comme une envie de ma part de ne pas répondre. Cette question me mettait mal à l’aise, mais d’un autre côté, c’était la question que moi-même je voulais lui poser : « Non, attends ! » Pour une fois que j’avais l’occasion d’obtenir des réponses. « Au début… je le haïssais. Mais… disons qu’il n’est pas si mauvais que ça. » J’étais en train de parler de ma relation avec Chen… à un quasi inconnu sous prétexte qu’il était un calice. Mon père m’aurait certainement rit au nez pour tant de négligence. Il n’avait pas tort après tout… si je l’avais écouté, je ne serais peut-être pas un calice aujourd’hui. « Je n’ai pas souvent eu l’occasion de parler avec d’autres calices. » Je ne savais pas vraiment comment aborder les choses. Mon manque de confiance en moi m’empêchait de poser les questions que j’avais toujours voulu demander. « Tu… es un calice depuis longtemps ? » J’avais tant de question à poser. J’avais toujours détesté et craint les vampires. Je les croyais perfide et cruel, mais Chen ne me donnait pas cette impression. Je voulais savoir ce que ressentais les autres calices à propos de leurs vampires. Mon père m’avait élevé dans la haine contre les vampires, je commençais à me dire que peut-être les vampires n’étaient pas tous mauvais… je voulais qu’ils ne le soient pas tous. Si ne serait-ce qu’un calice pouvait me conforter dans cette idée…

Tae Ryeong ne semblait pas porter les vampires dans son cœur… comme beaucoup de gens, comme moi. « Les aureus sanguinis, c’est ça le nom. Et non… je n’en suis pas un. Aussi loin que remonte mon arbre généalogique, ma famille a toujours cherché à détruire les vampires. Je suis un peu… le vilain petit canard de la famille. » Je n’avais jamais eu le courage de retourner voir mes parents depuis que Chen avait fait de moi son calice, de peur d’affronter la réaction de mon père. Il m’aurait certainement tué en apprenant ce que j’étais devenu, puis il aurait ajouté Chen à sa liste de vampire à éliminer. Juste derrière le nom de mon frère j’imagine…Tae Ryeong me tira de mes pensées en continuant sur sa lancée. Je devais en être satisfait non ? Après tout c’est ce que je voulais, discuter avec un autre calice, voir ce que les autres pensaient des vampires. Mais ce qu’il me disait ne me plaisait guère. Je ne voulais pas avoir des raisons de haïr Chen… depuis que je ne le détestais plus, les choses s’étaient tant simplifié. « Je... tous les vampires ne sont peut-être pas si mauvais que ça… Je sais que je ne suis pas un calice depuis longtemps, mais… je sais ce que nous sommes pour eux. Je sais si bien. Mais au fond, peut-être que tous les vampires ne sont pas des monstres ? Je ne dis pas qu’ils sont blancs comme neige, mais pourquoi seraient-ils tous tout noir ? » J’avais voulu savoir ce que les autres calices pensaient des vampires, mais jamais je n’avais réfléchis à ce qu’il se passerait si les choses n’étaient pas comme je voulais qu’elles le soient. « Non, merci d’avoir été franc… j’avais besoin de savoir. » Si il haïssait les vampires, il devait avoir une bonne raison. Son vampire devait être de la pire espèce. Je ne m’attendais pas à ce qu’il change si vite de sujet. Sa question me tira un sourire : « Je ne savais pas que c’était un endroit remplis de vampire… je ne suis pas encore assez fou pour venir dans un tel lieu. Mais je crois ne pas être le seul non ? » J’étais heureux de pouvoir me changer un peu les idées et je m’étais bel et bien jeté dans le gueule du loup. Et on était deux moutons à être venus rendre visite à la meute. « Quand… quand je l’ai rencontré, je voulais mettre fin à mes jours. Il m’a empêché de le faire et j’ai peu à peu repris gout à la vie grâce à lui… et puis… j’en avais marre de résister à cette attraction. Je suis peut-être un esclave, mais je n’ai pas le courage de résister. C’est pathétique je sais… »

Je ne devrais pas parler de ces choses-là à quelqu’un que je ne connaissais que depuis quelques minutes. Je ne savais pas ce qui m’avait poussé à le faire, du moins à ce point-ci. La curiosité… mais l’envie de me convaincre. Peut-être qu’il avait raison, que j’étais simplement aveuglé. Je fus tout de même incapable de retenir ce qui me trottait depuis quelques temps en tête. « Ils ont pourtant été humain avant ça. » Je ne l’avais pas vraiment dit à voix haute, je ne savais même pas s’il m’avait entendu. C’était certainement le seul argument valable que j’avais pour défendre ma cause. Ils ont été comme moi un jour… enfin comme moi avant que je ne sois un calice. Si j’avais été à la place de mon frère, comment serait les choses ? Serais-je automatiquement devenu un monstre, ou peut-on échapper à cet appel du sang ? « J’ai eu de la chance alors de tomber sur toi. Si tu n’avais pas été là pour attirer un vampire, j’aurais certainement été incapable de comprendre que j’en étais entouré avant de me retrouver dans un réel pétrin. » Yi Chang Wu, ou l’idiotie sur patte. Comment peut-on se jeter soi-même dans la gueule du loup et ne pas s’en rendre compte ? On me l’avait dit de nombreuses fois, mais là encore, ma naïveté était mise en évidence… Tae Ryeong me révéla alors que lui aussi avait été secouru par le vampire qui avait par la suite fait de lui un calice. Quoique, les circonstances étaient bien différentes. Le coréen n’avait cherché à mettre fin à sa vie… lui n’avait pas était aussi faible que moi… Sa révélation me remit bien en tête les circonstances de ma rencontre avec Chen : des vampires m’avaient tout prit. Ça en revenait à dire que Tae Ryeong avait raison depuis le début. Je chassai cette idée de ma tête, je ne voulais pas penser à ça maintenant.  « Parfois je me demande ce que ça donnerait si les humains parvenaient à éradiquer les vampires… Mais je crois bien que nous, calices, ne sommes pas destinés à voir ça un jour. » Un calice ne peut vivre si son vampire meurt, alors que le vampire peut survivre si son vampire meurt. C’est cruel. Les vampires nous arrachent à un notre humanité et en plus nous rendent dépendant d’eux… J’étais encore plus idiot que je ne pensais jusqu’alors. J’en voulais à mon père de continuer à traquer les vampires alors que mon frère en était devenu un. J’étais en effet aussi idiot qu’il me l’avait dit.

Je me sentais idiot, à converser ainsi avec une personne que je connaissais depuis à peine quelques minutes, droit comme un piqué juste à côté de l’entrée d’un lieu peu recommandable pour les calices que nous sommes. Le sujet de notre conversation était assez fragile… jusque-là, j’avais toujours gardé une certaines limites à ne pas dépasser. Je ne disais pas tout ce que j’avais sur le cœur. Mais là, je m’étais emporté. La discussion m’avait pris de court et je n’avais été capable de m’en extraire sans causer des dommages collatéraux : c’était là un sujet bien trop tabou pour en parler ouvertement. Pourtant, nous, calice, étions au cœur de ce sujet. Une guerre dans laquelle nous n’avions pas notre rôle à jouer, excepté celui… d’objet. Tae Ryeong avait raison. Nous étions des objets relativement juteux. Frigo sur patte pour les vampires, armes pour les rebelles. Dans tous les cas, nous étions destinés à servir les intérêts d’une autre personne, sans que l’on ait pu dire une seule fois notre avis.
Tae Ryeong me proposa finalement de quitter cet endroit. Je ne pouvais que lui donner raison : rester si proche d’un endroit bonder de vampire n’était peut-être pas une très bonne idée. Je préférais trouver un endroit à la fréquentation moins dangereuse. Le fait qu’il propose de lui-même d’aller boire quelque chose n’était en rien pour me déplaire. Après tout, j’étais bien venu dans cet  endroit pour me socialiser un peu. Que cette rencontre quelque peu fortuite tourne au cours ne n’aurait pas beaucoup aidé le développement de ma vie sociable… et comme je n’étais pas sûr de pouvoir trouver moi-même le courage de le lui proposer, qu’il le fasse à ma place me simplifiait grandement les choses. Affichant un sourire des plus amicales, je lui répondis : « Pourquoi pas ! Je connais un endroit pas très loin d’ici où les vampires ne nous sautent pas au cou toutes les trois secondes, si ça te dit. » Vouloir changer ses habitudes se révélait être parfois très idiot… En l’occurrence, aller dans un bar qu’on ne connaissait absolument pas quand on empestait le garde-manger sur patte à des kilomètres n’était pas toujours une bonne idée.

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