Discutions théâtrale [Kwang Sun]

La littérature, ce n'était pas uniquement étudier de vieux textes poussiéreux dont des critiques infiniment plus sages que vous vous proposaient une interprétation toute personnelle, qu'il s'agissait pourtant de considérer comme vraie. Ce n'en était qu'une part. La littérature, c'était aussi être un acteur sensible et engagé de la vie littéraire de la cité, et heureusement pour Kwang Sun, ce pan de la vie d'un étudiant en littérature n'était pas oublié à Séoul. Il adorait ses études, bien évidemment, et se plaisait à interroger le sens des mots jusqu'à ce que ceux-ci en vinssent à exister comme des entités indépendantes du reste du texte, mais il ne pouvait faire seulement ça de sa vie. Il avait besoin de bouger, de partager l'expérience qu'il n'avait pas encore acquise et la passion qui l'habitait, persuadé que seul le dialogue pourrait donner vie au domaine auquel il avait choisi de consacrer sa vie.
Alors bien sûr, quand l'un de leurs professeurs avait proposé d'emmener leur classe visiter l'emblématique oiseau de paradis, une visite du lieu et non une simple représentation, Kwang Sun avait été l'un des premiers à accepter. Parce que de son point de vue de profane, il y avait un plaisir immense à accéder à des lieux normalement interdits au public, de découvrir des mystères qui leur étaient normalement cachés, de percer le secret de cette magie qui faisait que ceux sur scènes n'étaient plus des hommes comme les autres. Kwang Sun y sentait comme une effluve de l'extase que lui procurait le Bloody Steam en ces jours heureux. Et par conséquent, il se doutait que le plaisir serait de courte durée.
Alors autant en profiter.

La jeune femme qui s'occupait des visites était tout aussi charmante que professionnelle. Ce n'était guère étonnant : si elle était comédienne, seule la grâce de ceux qui savent prendre l'identité d'un autre pouvait expliquer l'attraction qu'elle exerçait sur Kwang Sun. Il éprouvait une fascination jalouse à l'idée qu'elle pût être payée pour dissimuler un temps qui elle était. Mais son rôle de directrice du théâtre coupait net ces sentiments, rappelant à Kwang Sun qu'elle était aussi plus terre à terre. La description très succincte qu'elle faisait de son théâtre était par la même occasion très précise et organisée, exactement ce qu'il fallait pour faire une entrée en matière réussie. D'une certaine manière, cela ôtait toute féerie aux lieux. À quoi s'attendait-il ? Il n'y aurait pas de petits esprits qui sortiraient de derrière les rideaux pour jouer devant eux une valse fantomatique. Tout au plus y aurait-il des vampires. Il n'avait pas le droit d'être déçu. C'était lui qui en voulait trop.
Kwang Sun n'avait pas non plus besoin de se forcer à sourire : malgré sa déception, il était heureux d'être là. Comme toujours, il était de loin le plus souriant du groupe, celui dont on ne doutait pas un instant qu'il n'aurait voulu pour rien au monde être ailleurs. Il caressait doucement l'accoudoir de son siège, comme s'il avait besoin de se convaincre qu'il était bien là, justement. Après avoir entendu l'historique du lieu, la directrice les invitait à la suivre dans les coulisses. Immédiatement, Kwang Sun se leva avec énergie, jeta un dernier coup d'œil à la scène avant de se précipiter auprès de Ji Min. C'était du zèle, peut-être, ou l'envie de se faire remarquer de quelqu'un qui occupait une place intéressante dans la société, allez savoir. Il était de toute façon censé être enthousiaste, et personne n'aurait compris s'il avait traîné pour visiter le lieu de ses rêves.

« Vous êtes jeune, ça fait longtemps que vous travaillez ici ? » demanda-t-il sans tact au moment de passer la porte vers les coulisses.

Mais c'était mieux que vous faites jeune. Les choses étaient si compliquées lorsqu'on ne connaissait pas la race de la personne à qui on parlait.
Heureusement, les coulisses étaient plus sombres. Dans l'obscurité, on ne pouvait dire si le sourire de Kwang Sun était moqueur et sincère. De l'interprétation que l'on en faisait pouvait dépendre tout le sens de sa phrase.