Pillowtalk ϟ Mary

▬ Pardonner. Je n’aime pas ce mot. D’abord parce qu’il exige le souvenir des erreurs passés, celles que je ne saurai jamais oubliée. Celles qui me donnent la nausée. Mais aussi parce qu’il m’oblige à faire des efforts dont je me serai bien passé. Lorsque c’est moi qui dois pardonner, c’est que ce sont les autres qui ont fauté. Et il n’y a, ainsi, rien de plus injuste que ce manque de procès. Pardonner. Je me demandes bien si j'en suis capable. Pardonner. Il le faudrait pourtant. Pardonner à ma mère qui, pourtant, le mérite bien. A mon père, pour qu'il ne pourrisse pas le fil de mon existence en vivant dans mes pensés. Pour moi, pour pouvoir avancer. Mais j'en suis incapable. Et de vous à moi, je ne suis pas là pour ça.


Vieux frère,

Hier encore, nous dansions sur le brûlant du bitume aux abords du lycée dans l'espoir vain d'y apporter notre grain de créativité. Dans l'attente que notre morne quotidien soit secoué, bousculé, ébranlé et renversé. On rêvait de l'après, de cet autre monde que les autres nous vendaient à bout de bras, un monde après le lycée, dans ces quartiers huppés et fortunés, enviés et admirés qui nous maintenaient englués sur les bancs du lycée.

On guettait le sommet depuis les quartiers populaires, on peignait un futur lumineux, affalés dans les cages d'escaliers, la monde aux bords des yeux et la rigole aux coins des lèvres. On s'y accrochait de toutes nos forces lorsque personne n'y croyait, fière de cet espoir vain propre aux esprits libertins. De cette jeunesse décadente et décontractée, de cette insouciance insolente bonne à exposée à la face du monde comme une parure indécente. On vivait, ivre et fière de cette audace sans frontière, libératrice et salutaire. On dansait, on chantait, en âme volubile, en incorrigible excentriques.

J'aurais aimé que cette vie là dure éternellement. Que son automne et son printemps se répètent indéfiniment. J'aurai aimé retrouver notre squat, avoir tes bras autour de moi, que tu m'apprennes les mots de cette langue que tu aimais tant, te donner encore et toujours des cours de danses.
Notre adolescence me manque vieux frère. Les étés confinés dans ton appartement, la voix de ta mère, les dictons de ton père, les rires de la mienne, les gestes à la fois durs et tendre du mien. Il y a des soirs comme celui là où j'aurais aimé pouvoir remonter le temps. Retrouver notre abandon d'antan.

Pourtant demain, on reprendra ces chemins impersonnels de ce quotidien intemporel où l'on ne se fréquente que de loin, l'esprit occupé et le pas agité. Sur cette route éventré que peut-être on apprendra à aimer. Demain, on oubliera que nous sommes ces enfants acharnés. On vivra cette vie d'adulte où le travail se dresse comme une menaçante chimère.  Demain, le monde s'ouvrira sous des cieux doux amers. Demain, tu oublieras que tu as pût être cet enfant des bas quartier. Tu oublieras ces soirées passées à trainer dans ces lieux trop fréquenter à voler ces bourgeois fortunés. Demain, tu oublieras qui tu étais. Tu oublieras ta mère, ton père et tes anciens amis. Et tu m'en voudras surement de t'avoir envoyé cette lettre vieux frère. J'espère que tu le feras. Parce que je t'en vieux frère. La, tous de suite, je te déteste. Et je voudrais que tu ai mal comme moi j'ai put avoir mal lorsque j'ai vu que tu n'es pas venu aujourd'hui.

Pour atteindre ce rêve auquel on croyait si fort, tu as tout sacrifié. Même eux. Même nous. Je ne suis pas devenue quelqu'un de bien, tu sais. Je danse toujours, mais ça ne suffit plus. On aura besoin de d'avantage d'argent maintenant. Alors je pense que je recommencerai. Comme avant, comme au bon vieux temps. Tu te souviens? L'ivresse et les vols, les tours et les arnaques. Bientôt, je n'aurai plus besoin de tout ça. Un jour peut-être, je laisserai ce monde derrière moi. Notre monde. Celui qui me semble bien fade depuis que tu n'es plus là. Et ce soir, je réalise que je n'avais peu-être besoin que de ça.