Revelation dinner (Riyû)

Une surprise. Que Riyû pouvait raffoler de ce genre de choses, au même niveau que les cadeaux et les tendresses. Un vrai gamin vous en conviendrez, pourtant il ne s’en lassait jamais et cela avait même le don de l’exciter au plus haut point. Il voulait toujours tout savoir avant l’heure et pour se faire quoi de mieux que d’inonder de questions la personne qui avait eu le malheur d’organiser cette surprise ? Rien du tout. Dans ces instants là, Riyû ressemblait plus à une pile électrique ambulante qu’à un jeune adulte mature et fier, mais il ne pouvait tenir en place, c’était plus fort que lui. Il attendait ces moments avec tellement d’impatience que cela pouvait en devenir maladif. Le trajet se fit dans un lourd silence, tout du moins du côté d’Haiko qui refusait de lâcher le moindre mot ou le moindre indice sur la destination finale et cela, avait le don de frustrer le plus jeune. Abandonnant rapidement la technique du « fils mignon et craquant à souhait », voyant bien que ce coup-ci cela ne marcherait pas, il se mit à établir des hypothèses. Les deux seules qui restèrent plausibles étant l’opéra ou le restaurant. Car si Riyû avait du mal avec les arts plastiques, à cause de ses troubles obsessionnels compulsifs, il avait une véritable passion pour la musique, dont l’opéra.

Lorsque l’enseigne du restaurant fut enfin visible, se fut un choc. Restant un moment immobile il posa inconsciemment l’une de ses mains sur son cœur : il était heureux. S’il était de nature calme et blasé, en présence de son père il en était tout autre : au diable la bonne tenue et les faux sourires ! Pour lui, Haiko rimait avec spontanéité et franchise. Le visage lumineux comme jamais et d’un soupire de satisfaction, il baissa légèrement son regard vers son ventre comme s’il venait soudainement de se rendre compte à quel point il était affamé. Oui, le restaurant était définitivement une meilleure idée que l’opéra ! Dire qu’il aimait manger serait un euphémisme, Riyû vouait un véritable culte à la nourriture et c’est pour cette raison qu’il ne voulait pas devenir un vampire : il tenait bien trop à ces petites choses que pouvait lui offrir une vie Humaine ! Pour l’occasion et ne sachant pas exactement ce qui l’attendait, Riyû avait opté pour un costume chic, mais sans entrer dans quelque chose d’excessif. Depuis qu’Haiko l’avait recueilli, il était sans doute l’homme le plus gâté au monde et s’il ne se contrôlait pas un minimum on pourrait croire qu’il avait tout d’un fils pourri gâté, ce qui..N’était pas complètement faux…

Revêtant de nouveau son masque d’homme sévère et impassible, il suivit son père de près sachant très bien que la comédie n’allait pas durer bien longtemps. Haiko n’était pas du genre à accepter de « manger » en plein milieu d’une pièce où tous ces autres Humains se retrouvaient pour échanger des anecdotes sur leurs journées ennuyeuses. Une fois à l’écart, Riyû allait pouvoir se comporter normalement. Prenant confortablement place en face de son père, il reporta toute son attention sur ses sages paroles. Il était vrai que ces derniers temps, ils ne passaient plus autant de temps ensemble et cela attristait légèrement le plus jeune, mais il n’avait jamais fait aucune remarque à ce sujet, qualifiant un tel comportement de bien trop irrespectueux et enfantin à son goût. Lâchant un petit sourire amusé ne sachant pas quoi répondre, il déposa rapidement son regard sur la carte, des spécialités anglaises ? Il n’en fallait pas plus pour émoustiller ses papilles. Tout semblait si..Appétissant qu’il dût se concentrer afin d’analyser chaque plat et de choisir les meilleurs. Au bout de plusieurs minutes de lutte acharnée, il finit par sortir de son état de transe en relevant la tête pour réaliser que le serveur avait déjà pris la commande de son père et apporté une bouteille de vin. Passant à la vitesse supérieure et après avoir rapidement commandé la moitié de la carte, il saisit son verre du bout des doigts avant de se mettre à examiner ce liquide rougeâtre et limpide.

Pour être franc, l’anglais n’était pas sa langue favorite, bien trop de choses déplaisantes s’étaient produites avec cette langue et il n’y attache que très peu d’intérêt aujourd’hui. Mais s’accrocher au passé n’est pas dans son genre, si l’on passe son temps à regarder derrière soi, comment peut-on avancer efficacement ? Le passé est le passé, et si Haiko souhaitait parler anglais il n’y voyait aucun inconvénient, bien au contraire cela lui faisait tout autant plaisir qu’à lui. Même si le coréen était selon lui, la plus belle langue au monde. La langue de sa nouvelle vie.

« C’était une excellente idée le restaurant, je meurs de faim. Et..Je suis vraiment content de passer un peu de toi avec toi…Ton travail doit te prendre énormément de temps et je le conçois très clairement, tu n’as pas à t’en faire pour ça.»

Il marqua à son tour une petite pause afin faire tourner délicatement le verre au bout de ses doigts avant de le porter à son nez et d’humer son arôme.

« Je suis moi-même débordé par les cours et il faut bien l’avouer, je ne fais pas énormément d’efforts pour dégager mon emploi du temps aux mêmes heures que les tiennes. Disons que nous sommes tous les deux fautif dans cette histoire ?»

Lui dessinant son plus beau et doux sourire, il prit une petite gorgée de ce liquide préalablement examiné. Pinçant doucement les lèvres et gonflant légèrement les joues, il savourait du mieux possible la gorgée qu’il venait de prendre. Seuls de petits « humuhum ! » étaient alors perceptibles, mais pour mieux faire passer le message, Riyû fronça les sourcils en faisant un léger mouvement de la main histoire de bien lui faire comprendre qu’il était savoureux et qu’il manquait vraiment quelque chose.

A vrai dire, lorsque Haiko regardait son fils, il se sentait gonfler de fierté. Le vampire n'aurait pas pu rêver mieux comme descendance : élégant, poli, beau, mignon, intelligent.  Riyû avait tout ce qu'un père aurait pu espérer de son fils et à chaque fois qu'il le voyait ainsi, une pommade de sécurité embaumait son cœur. Il se sentait serein quant à lui. La peur qu'il lui arrive quelque chose, qu'un autre vampire le mordre avait beau être présente, il faisait confiance à son fils quant au reste. Haiko était du genre mère poule raisonnée. Comme tout parent, il avait peur pour sa progéniture mais il savait que son calice pouvait très bien s'en sortir tout seul, sans lui. Et ça le rassurait et lui faisait peur en même temps. Car s'il n'avait plus besoin de lui, pourquoi resterait-il à vivre à ses crochets éternellement ? Haiko essayait de se faire à l'idée qu'un jour il allait partir. Mais plus il y réfléchissait plus il voulait l'en empêcher. Mais Riyû l'aurait détesté de faire ça, et la pire chose à ses yeux était de se faire haïr par Riyû.

La raison pour laquelle Haiko aimait tant converser en anglais avec son fils, c'était surtout parce qu'il lui rappelait tant sa mère dans ses moments. L'accent du plus jeune était légèrement plus dur que celui de son ex femme, mais ils avait parfois des intonations, des tons, similaires. Cela le faisait sourire. Elle se matérialisait sous ses yeux quelques bribes de secondes puis repartait aussitôt. Contrairement à son fils, Haiko aimait plus que tout vivre dans le passé et dans ses souvenirs. Il était atteint du fameux « c' était mieux avant », et il ne se sentait heureux que lorsqu'il pensait à sa vie d'avant. Maintenant.. ? Maintenant il avait Riyû et c'est tout ce qui le rendait heureux. Mais pour le reste, plus rien ne le comblait vraiment.

Riyû était si compréhensif quant à leur éloignement de ces dernières semaines. Haiko se sentait de plus en plus mal de lui avoir menti. Il ne lui avait pas menti intentionnellement. Mais ne rien dire , c'est aussi mentir , non ? Jamais il ne lui avait expliqué ce qui se passait et il lui avait dissimulé un événement terriblement important.  Haiko jouait nerveusement avec son verre, passant l'index sur le cristal glacé. Peut-être que s'il était sincère, cela allait passé ?

« Oui, c'est vrai que mon travail est prenant... » dit-il à mi-voix.

Il le regarda boire son vin en s'imaginant quel goût il pouvait bien avoir. Pour la forme, il y trempa les lèvres à son tour sans entrain. Il grimaça. Décidément, rien ne valait le sang. Et encore moins le sang d'un Aureus Sanguis, qui équivalait sûrement à un grand cru de vin.

« Tant que tu le trouves bon. »

Il lui sourit et prit sa main mais c'est à ce moment que leurs plats arrivèrent. Il lâcha sa main aussitôt et laissa la place pour leurs assiettes. Mais il ne voulait plus se concentrer sur la nourriture, il ene voulait plus éviter son regard et fuir ses responsabilités, il ne voulait plus chercher un autre sujet à discuter que celui pour lequel il l'avait emmené ici ce soir. La plaisanterie avait assez duré. Il ne voulait pas gâché de bon repas en sa compagnie mais il fallait que ça sorte. C'était trop dur de lui faire face maintenant en sachant qu'il lui mentait constamment, c'était au delà de ce dont il était capable. Sa petite bouille adorable ne faisait qu'appuyer plus fort sur le bouton de la culpabilité.

« Riyû, il y a quelque chose que j'ai fait ..et dont je ne t'ai pas parlé... et je n'en suis pas fier.  Et là honnêtement ça commence à me peser sérieusement sur la conscience. Je veux vraiment passer une bonne soirée avec toi, je ne comptais pas tout gâché.. »

Il soupira. Maintenant qu'il avait commencé il fallait finir. Et tout d'une traite.

« Ecoute moi jusqu'au bout, et ne m'interromps pas. »

Haiko laissa passe un petit silence pour s'assurer qu'il avait bien compris son ordre puis il s'alluma son cigare en deux temps trois mouvements.

« Il y a … quelque temps. J'ai rencontre quelqu'un. Je trainais , dans un bar de strip tease et je me suis rapproché de ce gars : Kyung Hee. On a passé du temps ensembles. J'ai commencé à avoir des sentiments pour lui et ...j'ai fait de lui mon calice. Je ne sais pas si je l'aime, mais je tiens à lui. Je sais que j'aurais dû te parler de ça avant, que c'est important et j'en suis désolé. Mais il se trouve qu'il a disparu de la circulation. Depuis quelque semaine,il est introuvable. J'ai été naïf et idiot de faire confiance à un inconnu. Mais depuis ta mère je .. .. »

Sans s'en être rendu compte, il venait de lâcher une seconde bombe. Il avait envie de se tuer à ce moment précis. Il ne lui avait encore jamais parlé de sa mère. Riyû n'était rien sensé savoir. Et là , comme ça, comme un pauvre idiot, il venait de toute balancer le plus naturellement du monde. Ce secret qu'il avait voulu lui cacher depuis qu'il l'avait recueillie,  tout venait de partir en fumée à cause de sa connerie. Haiko garda son cigare à la main, sans bouger, ne sachant quoi ajouter. Il était venu lui annoncer un fait en particulier, et voilà qu'il venait de se lancer dans le vide en évoquant sa mère. Autrement dit, il venait de s'embarquer dans une soirée d'explication interminable.

« Riyû.. »

Il reprit sa main dans la sienne, en attendant une réaction. Rien ne se passait comme il l'avait imaginé.

Il avait donc visé juste, c’était bien son investissement dans ses recherches qui lui prenait autant de temps et d’énergie. En toute sincérité, Haiko était son plus grand modèle : un homme droit et respectable. Une fois ses études terminées, Riyû espérait pouvoir atteindre le même degré de perfection qu’arborait son père jour après jour sans jamais faillir. Et puis, la peur de le décevoir était telle qu’il faisait toujours en sorte d‘agir en fonction des attentes d’Haiko, même si cela pouvait être dur ou étouffant par moment. S’il ne portait pas le nom de Shin officiellement, il faisait en sorte que rien ni personne ne le salisse car dans son cœur il était un Shin à part entière. Haiko étant le seul homme que Riyû accepterait à jamais d’appeler père.

Au contact de sa main, le plus jeune reposa rapidement son verre sur la table avant de se pencher en avant, un reflexe certes humain mais futile. Il entendait très bien Haiko assit normalement seulement, son père agissait étrangement depuis quelques minutes. Etait-ce de l’anxiété qu’il décryptait dans ses paroles et ses gestes ? A la fois inquiet et intrigué, il manqua de lâcher un rictus de mécontentement en voyant le serveur revenir pour briser ainsi l’élan qu’avait pris son père. Mais bien vite cette pseudo-rage envers l’humain s’effaça devant la beauté des plats qui ornaient leur table. Des assiettes parfaitement présentées, un design parfait et littéralement alléchant pour les yeux comme pour le nez. Seule la nourriture occupait son esprit, comme envouté par tant de couleurs et de magie. Oui, il ne pensait qu’à une seule chose : se remplir la panse et le plus rapidement possible ! Seulement, Haiko ne semblait pas du même avis et attira de nouveau son attention avec beaucoup plus de détermination cette fois-ci, ne lâchant pas pour autant ses couverts, Riyû le regardait avec intérêt comme pour lui montrer qu’il était tout ouïe.

Comme demandé, il le laissa parler sans l’interrompre une seule fois, seuls les traits de son visage pouvaient laisser croire que Riyû était encore bel et bien en vie. Petit à petit ses sourcils se froncèrent sur des termes comme « Calice » ou encore « si je l’aime ». Mais le pire, fut le mot « mère », car son visage se décomposa à une vitesse fulgurante. Une gifle, énorme et terriblement douloureuse. Voilà ce que Riyû venait de recevoir de la part de son père, certes il n’y avait pas eu de contact physique, mais ses révélations avait largement suffit pour le toucher de plein fouet émotionnellement. Gardant le silence encore sous le choc de ce qu’il venait de dire, il était complètement dépassé par les évènements. Etait-il si naïf pour ne pas avoir vu le coup venir ? Ou était-ce cette confiance aveugle qu’il avait accordé à Haiko qui avait fini par se retourner contre lui ? Il l’ignorait et toutes ces questions ne faisaient que l’embrouiller d’avantage. Que fallait-il faire ? Comment fallait-il faire ? Silencieux, il baissa finalement doucement la tête en reportant son regard sur la main de son père qui était venue se poser sur la sienne. D’une voix serrée, et préférant fermer les yeux car soutenir son regard était une tache que se révélait être bien trop ardue pour lui, il allait tenter d’articuler du mieux possible. D’un léger sourire ironique, il commença à déballer ce qu’il avait sur le cœur, faisant toutefois en sorte de ne pas parler trop fort pour ne pas attirer l’attention de toute la salle sur leur petite dispute familiale.

« C’est…Toujours une épreuve de faire avaler de force un cachet à un chien, on a peur de se faire mordre la main, pour finalement regarder celui-ci recracher le comprimé….Alors, quoi de mieux pour le faire passer que de l'amadouer ? On place le comprimé dans petit morceau de pain et le tour est joué.. C’est un peu ce que tu as fait non ? Le restaurant. Ce n’était pas pour nous faire plaisir, mais uniquement pour mieux faire passer le cachet. Je suis ton animal de compagnie et à priori je ne te suffis pas. Je ne te suffis plus.»

Rouvrant doucement les yeux toujours le regard orienté vers leurs mains entremêlées, il laissa un nouveau silence s’installer tout en restant immobile. Riyû savait pertinemment qu’il était à deux doigts de passer dans l’une de ces colères noires et terriblement frustrantes pour ceux qui se trouvaient à côté de lui. Mais c’était plus fort que lui…Sans pour autant bouger la tête, il remonta d’un coup vif son regard profondément perçant dans celui de son père, l’observant comme pour essayer de desceller en lui une once de culpabilité, ce qu’il sembla trouver. Mais sa rage devenant de plus en plus présente, il se contenta de retirer sa main d’un geste sec sans réfléchir aux conséquences que cela allait entraîner.

« Je peux comprendre que tu cherches une personne pour partager de l’amour. Mais un autre Calice…?.......Putin….. ! Mais j’espère que c’est une blague pas drôle… ? Qu’est-ce que ce stripteaseur avait de si intéressant, un stripteaseur…Ce n’est pas toi qui me parle sans cesse de l’élite ?! Alors là il faut qu’on m’explique !!! » Il lâcha un petit soupire comme pour refaire baisser la rage qui c’était petit à petit accumulée en lui. Soudainement une révélation frappa son esprit : « Oh…Mais oui, bien sûr. Désolé si je ne suis pas l’un de ces fameux Aureus Sanguis, mon sang doit en effet être extrêmement fade à côté du sien. Qu’il ait disparu de la circulation, sincèrement je m’en contrefous, mais si à cause de sa gaminerie tu venais à souffrir…Je crois que je me chargerais personnellement de le retrouver, mais pas pour échanger des politesses autour d’une tasse de thé……Et qu’est-ce que ma mère à avoir là-dedans…….. ? Non, laisse en fait. Je m’en fous.»

Sa tête lui faisait extrêmement mal, si bien qu’il venu se masser l’une de se tempes avec lenteur. Il ne voulait pas parler de sa mère, cela l’effrayait au plus haut point. Après tout, il n’avait pas connu sa mère, cette femme qui l’avait laissé entre les mains d’un homme comme Kwang Hee devait être aussi lâche que lui. Il avait déjà du endurer un père alcoolique et violent, alors si on pouvait lui éviter de lui sortir une mère prostituée, et bien..Ça l’arrangeait. Lâchant un rire à la fois angoissé et crispé, il se leva doucement de sa chaise, les deux mains encore posé sur le bord de la table.

« Je comprends également la seconde raison pour laquelle tu as choisi un restaurant. Ingénieux. Tu savais très bien qu’en public il n’y aurait pas eu de débordement. Sur ceux. Si vous voulez bien m’excuser quelques instants, j’ai une soudaine envie de me rendre…aux toilettes ? »