Our deal is what we are -Flashback-

Très bonne soirée. Encore une autre belle soirée comme je les aime. Non, ce n’est pas parce que la lune a un périmètre parfait ou que les étoiles sont mignonnes, tout ça me passe complètement au-dessus la tête. Je les vois tous les soirs, ils me sont aussi indifférents que le soleil l’est aux humains. Non, pour moi, une bonne soirée c’est une soirée où les chiffres d’affaires sont fructueux. Vous allez me dire, pas besoin de s’inquiéter avec le Bloody Steam. Eh bien détrompez-vous. Des dealeurs un peu filous sont à prévoir. Si les rentabilités baissent, même d’un tout petit pourcentage, l’impact est important sur toute la chaîne. Le but d’un business tel que moi est de maintenir le chiffre d’affaire. Il faut qu’il reste stable, quoi. Par contre s’il monte, là c’est plutôt intéressant, mais je n’ai pas besoin de vous faire un tableau. Et ce soir, quand j’ai fait les comptes, les objectifs ont été atteints sans difficulté. Parfait. Ah oui, j’oubliais de préciser : ce n’est pas au bureau que je les ai fait.

Disons que c’est à cause d’un concours de circonstances. J’ai eu une réunion qui a duré bien plus que je ne l’aurai pensé, et quand je suis retourné au bureau…c’était l’heure de la fermeture. Oui, j’ai une heure de fermeture pendant la nuit, moi un PDG vampire, tout est normal. Ne riez pas, mais il faut bien faire quelques concessions quand on a un personnel composé à 70% d’humains…ils ont une famille, paraît-il. Bref, toujours est-il que je me suis fait avoir tout seul, et que je suis allé ailleurs pour les comptes annuels. Riche, vampire, PDG. Quel autre endroit m’auriez-vous vu à part ce bar ? Le Perséphone est toujours ma roue de secours quand ces choses-là m’arrivent. Il a vraiment été taillé pour des hommes actifs et occupés. Donc comme à mon habitude, je ramène ma tablette et mon porte-feuille ici. Je me suis assis à ma table habituelle, une seule place, entre deux plantes, et la fenêtre à ma gauche. Et la routine redevient la même ; j’allume ma tablette, le serveur vient ; il me demande ce que je prends, je réponds un café (toujours sans sucre, je n’aime pas quand ça croque) ; il s’en va, et je fais ce que j’ai à faire. Voilà, je vous ai exposé toutes les circonstances palpitantes dans lesquelles j’ai fait mes comptes. Je plaisante absolument pas, elles sont vraiment palpitantes, mais pas pour le commun des salariés évidemment.

Pendant que je faisais mes calculs sur une application spécifique, mon café a été posé juste à côté de moi. Je ne m’en suis pas rendu compte de suite, et puis vous savez comment on est, nous les hommes d’affaires. On fait d’abord une chose, puis une autre, puis une autre, etc. Le temps que je finisse d’avoir les résultats, de vérifier une seconde fois, puis d’appeler ma secrétaire pour les lui communiquer, à elle puis à mon trésorier, puis à mon banquier, puis à un ou deux associé( s ), puis à machin, etc. mon café a eu tout le loisir de se refroidir. C’est un peu moins buvable que chaud, mais à vrai dire il n’y a pas de grande différence entre un nexpresso chaud ou un nexpresso froid. Si je commande, c’est parce que c’est obligé pour pouvoir se poser. Vu la clientèle du Perséphone, si ça avait été moi le patron, j’aurai seulement fait payer le temps passé sur une chaise. Mais vu les humains et leurs règlementations…non seulement ils auraient trouvé ça bizarre, mais ils auraient cherché la petite bête pour intenter un procès. Ils sont toujours à l’affût de l’argent, c’est fou.

L’heure de fermeture avançait, mon café restait à peine entamé. La nuit était tombée depuis un moment, et la salle était quasiment vide. A part moi et un autre congénères, tous étaient partis. Ce n’est que pendant les dernières minutes que je bus les dernières gorgées de mon café. Mes comptes finis depuis tout à l’heure, j’étais en train de faire une partie de Sugar Crush. J’ai enfin atteint le niveau 36 ! Cool, je suis happy pour la soirée. Je fermai l’application, puis éteignis ma tablette avant de la ranger dans son étui. Sortant mon portefeuille, je donnai toujours un peu de pourboire pour montrer que je suis un client satisfait. Je me levai, mais je n’étais pas prêt de partir pour autant. Posant une main sur la table, prenant appui, je l’attendis comme à mon habitude. Le patron d’ici est une patronne, et je la connaissais on ne peut plus bien. J’échangerai quelques mots avec elle pour ce soir, puis je rentrerai tout content chez moi. Et peut-être avec elle, qui c’est. Je souris à cette pensée. L’emmener chez moi, dans ma chambre…mon fantasme du moment. La concernée vient enfin. Mon sourire s’élargit. « Salut, pas trop dur ce soir ? Il y avait un peu plus de monde que d’habitude, je crois. » En fait je n’en savais rien du tout, c’est tout juste si je remarque les autres clients. C’était histoire d’attirer la femelle, on va dire.